Angie habite au bord de la rivière Yamuna dans la banlieue de New Delhi dans ce quartier que les Indiens appellent la « Tibetan colony ». Elle est mi-tibétaine, mi-africaine. Elle a trente ans et vit au bord de l’eau avec son bébé de 18 mois Peggy.

L’histoire d’ Angie est un récit d’une femme seule que toute une communauté protège. Malgré des origines mixtes -qui sont généralement peu valorisées par la société tibétaine- Angie est chérie par son quartier. La société tibétaine en exil insiste sur l’identité dans sa forme la plus pure et la plus sublimée par souci de s’opposer à la sinisation du Tibet. En bref, cette société ne favorise pas les mariages mixtes et préfère un entre-soi qui lui permet de ne pas se dissoudre dans la société d’accueil indienne.

Angie est néanmoins l’objet d’une attention particulière. Tout se passe comme s’il y avait -à son égard- une responsabilité collective. Une compassion solidaire entoure Angie et son adorable bébé dans une bulle protectrice.

Dans ce monde sauvage et cruel, au sein de cette diaspora, sans cesse sur le qui-vive, le groupe, dans son intelligence de survie, s’organise pour qu’Angie ne manque de rien.

Nous voulons filmer ces délicatesses communautaires au quotidien et le rôle des femmes dans ce génie solidaire. Le cercle et demi-cercle construit par la gens féminine. Elles apportent des vivres, gardent le bébé, lui apportent des vêtements. L’ordinaire d’une solidarité tissé par les petits gestes du quotidien. Le thé du matin, les beignets de 4 heures. Angie ne nous parle pas seulement du statut de la femme mais également de la manière dont une diaspora tisse son « nous » collectif.

Grâce à Angie nous comprenons le rôle des médiations sociales et de la place des femmes et des hommes dans la société. Les hommes veillent sur Angie et effectuent des tours de gardes autour de sa chambre afin que son ex-époux ne vienne pas encore une fois la rouer de coups - elle et la petite Peggy. En effet, son boxeur de mari lui a cassé les dents lui abîmant son joli sourire. Un sourire qu’elle a gardé, malgré tout.

Malgré sa pauvreté, sa vulnérabilité. La gentillesse d’Angie impressionne tous ceux qui la connaissent. C’est d’ailleurs cette bonté reconnue de tous qui lui confère une place si singulière au sein de la communauté. Elle catalyse la compassion, une valeur fondamentale du bouddhisme tibétain. Et, c’est cette qualité à l’œuvre qui est l’objet même du film. Le cœur du travail visuel.

Le travail à la caméra insistera sur la manifestation de cet altruisme en action. Une valeur morale prend chair, s’incarne en Angie, dans un espace collectif. Cette traduction humaine de la compassion dans la vie de tous les jours -pour Angie et Peggy- est également une leçon de vie. Une leçon d’humilité et de joie. Car leur vie est un collier de perles de rires.

Nous irons ainsi, de maison en maison, avec la petite Peggy filmer cette mécanique de solidarité à l’œuvre. Nous allons capturer sur le vif, dans la gestuelle la plus anodine, les attentions qui entourent ce bébé.

Le film évoluera au son du gong celui que l’on entend rythmer la journée. Le gong du temple qui entraine le temps dans une ronde. Toujours recommencée. Angie est assisse là pendant des heures son ami Tenzin le moine musicien. Sa journée est découpée par les prières du soir et du matin et du chant qui s’élève au ciel du « Oum Mani Padme Oum ». Une musique qui se répand autour du quartier et l’enserre comme une enveloppe spirituelle. Angie demande à Tenzin s’il est opportun de rendre visite au boxeur, le père de Peggy, afin que ce dernier connaisse son enfant. Certains comme Pema (lotus en langue tibétaine), une veille dame, qui vend de la bière face au temple bouddhiste, pensent que l’enfant doit connaître son père même si ce dernier est un ivrogne violent. D’autres, au contraire, comme Tenzin, le moine habillé de pourpre, son ange gardien, estime que rendre visite à Mouhammadou est un risque inutile. Hésitante, Angie pèse le pour et le contre.

Nous la suivrons dans les méandres de sa prise de décision, forte et tremblante, à la grande prison de New DELHI. Ce suspens est également un parti pris de réalisation et nous montre une femme face à un dilemme. Une énigme que l’on tentera de résoudre le long d’un film dans une progression psychologique autour du personnage. Cette énigme contient à elle seule le mystère d’Angie sa force et sa fragilité.